Communiqué • 14 décembre 2024
Occupation de la Gaîté Lyrique : aucune proposition de résolution par les autorités compétentes, plusieurs événements annulés
Chloé Desmoineaux est artiste et curatrice. Par le biais du code, mais aussi de la vidéo, du jeu vidéo, de l’installation interactive et les performances online, elle questionne le genre, l’identité et les relations inter-espèces. Pour l’exposition Computer Grrrls, elle présente une sélection féministe et inclusive de jeux vidéo.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m'appelle Chloé, je suis artiste et commissaire d'exposition de jeux vidéo. J'ai dernièrement organisé avec Isabelle Arvers les soirées Art Games Demos qui consistaient en l'exposition et présentation de jeux d'auteurs et de créations numériques expérimentales. L'accent étant mis sur la présentation de ces œuvres vidéoludiques comme des médiums artistiques. Nous nous efforçons également de mettre en avant la création féminine. J'ai aussi un travail plastique qui prend la forme d’installations interactives, de performances et d'ateliers autour du jeux vidéo alternatif et des questions de genre. Je joue de plus aux jeux vidéo depuis que je suis toute petite, ça tient une grande place dans ma vie quotidienne et je commence à avoir une belle collection !
Quelle place les femmes occupent-elles dans l'histoire des jeux vidéo ? A la fois du côté de la création des jeux et au sein de ces jeux et comment expliquez-vous ce déséquilibre ?
Le jeu vidéo n'est pas connu pour être un milieu de femmes. Le constat est simple : s'il y a peu de femmes dans l'industrie, elles ne sont pas vraiment prises en compte. Il y a peu de représentations intéressantes, donc peu qui se sentent concernées et finalement peu qui s'investissent dans ce domaine. D'autant plus que l'univers conservateur du jeu vidéo peut s'avérer extrêmement hostile aux initiatives féminines et même aux femmes tout court (cf le Gamergate, les témoignages de joueuses professionnelles harcelées et ce qui en a découlé, les commentaires agressifs en ligne et les menaces reçues par les femmes qui ont pris position et voulu dénoncer l'environnement sexiste du jeu vidéo.)
Cependant certaines figures méconnues ont une place importante dans l'histoire du jeu vidéo, comme Roberta Williams, qui fut la pionnière du jeu d'aventure graphique (auparavant uniquement textuel) et la fondatrice, aux côtés de son mari, de la boite de production Sierra On-line. Tous les gens de ma génération ayant grandi avec un ordinateur connaissent le jeu Adibou, mais peu en connaissent la créatrice, Muriel Tramis. J'ai malgré tout bon espoir, les mentalités évoluent et de nombreuses femmes et personnes queer très talentueuses s'approprient les outils de création de jeux, investissent le milieu et viennent mettre à mal les stéréotypes persistants.
Si vous n'êtes pas au courant de la question du sexisme dans le monde du jeu vidéo, je vous invite à regarder cette conférence de Mard-Lard et la série The Tropes vs Women in Video Games de Anita Sarkeesian sur la chaine feministfrequency qui sont très pertinentes et pleines de références.
Pouvez-vous décrire et expliquer la sélection de jeux vidéo que vous avez souhaité proposer pour Computer Grrrls ?
Lorsqu'on veut placer les femmes au coeur d'un sujet, il me semble vraiment important de prendre en compte les contextes culturels et sociaux qui les entourent afin de faire émerger une multitude d’identités et d'histoires. J'ai donc proposé des jeux qui intègrent des thématiques du quotidien et qui proposent diverses approches des identités féminines. J'ai aussi voulu présenter un panel de jeux majoritairement indépendants, des jeux d'auteurs/autrices. Je pense que c'est très important de soutenir les initiatives créatives et indépendantes du jeu vidéo. Au même titre qu'il y a des films d'auteurs qui intègrent des sujets et techniques expérimentales, il y a des artistes et créateurs.trices de jeux qui proposent des choses vraiment novatrices.
Comment les jeux vidéo peuvent-ils s'emparer des enjeux de société ?
Le jeu vidéo est un média très efficace pour transmettre de l'information. Je soutiens l'idée que le jeu vidéo n'est pas qu’un simple outil de distraction. Les choix qui vont être fait quant à l'univers, le gameplay ou aux personnages d'un jeu triple A (équivalent du blockbuster dans le jeu vidéo) ne sont ni innocents, ni anodins. Ces jeux vont être joués par une majorité des consommateurs de jeux vidéos et vont bénéficier d'un marketing et d'une communication conséquente.
La prise en compte d'enjeux sociétaux me semble inévitable et nécessaire dans la production de jeux vidéo même si certains types de jeux ne sont pas touchés par cette question ( je veux dire que la question ne se pose pas vraiment pour les casuals games par exemple, à part avec l’artiste Pippin bar qui à réussi la prouesse d'intégrer divers courants philosophiques comme gameplay pour un Snake !). Je pense que l'industrie a intérêt à multiplier, élargir, complexifier et approfondir les représentations des minorités, ne serait-ce que pour toucher un plus grand public. On pourrait aussi penser que la tendance actuelle à aller vers l'hyperréalisme pousserait à l’inclure ce genre d’enjeux. Cependant, il est évident que les univers proposés actuellement dans les mondes ouverts tels que GTA contiennent davantage des représentations influencées et conditionnées par le cinéma hollywoodien que vers la réalité du point de vue des minorités.
Au sein de la création vidéo ludique indépendante, je peux néanmoins citer Paolo Pedercini du studio Molleindustria qui fait des jeux activistes et incisifs, prenant comme sujets principaux des problématiques sociétales controversées.
Constatez-vous aujourd'hui une évolution dans la façon dont les jeux vidéos illustrent la question du genre ?
Je crois qu'il y a une avancée à ce sujet. Le jeu vidéo se rend de plus en plus hybride, l'émergence de la création vidéoludique au sein d'écoles d'art ou de laboratoires de recherche dans les universités contribue en partie à décloisonner et imaginer de nouvelles manière de penser le jeu. Associé à ça, l'accessibilité des outils de création de jeux vidéos a permis l'émergence d'une scène de développeurs.ses queer comme Anna Anthropy, Christine Love ou Porpentine pour les plus connues. J’attends d’ailleurs impatiemment la sortie de Get in the car, loser de Christine Love qui devrait sortir bientôt ! Il.elle.s se sont mis.es à parler de genre, de sexualités non normatives dans leur jeu, en mettant leur propre expérience du sujet au coeur du gameplay. Cela permet de donner de la visibilité, d’informer mais aussi de proposer de nouveaux schémas, de nouveaux corps, de nouvelles identités au sein du jeu vidéo. L'outil Twine a largement été utilisé par cette communauté, il permet de créer facilement et rapidement une fiction interactive.