Ce dossier documentaire propose une sélection de sites web, de livres, d’articles de presse et de vidéos pour contextualiser les enjeux que cristallise la figure du lanceur d’alerte.
Toutes ces ressources sont à retrouver dans le parcours d'installations. A cette occasion, ARTE propose une sélection de reportages du magazine TRACKS et un dossier d’ARTE info qui vous invite à visiter les bas-fonds du web, rencontrer des ‘hacktivistes’ ou encore s’interroger sur le rôle des services secrets ou les lois censées protéger les whistleblowers.
Whistleblowers et lanceurs d'alerte
Ces termes sont souvent associés comme ayant la même signification, mais on peut distinguer deux figures différentes lorsqu'on parle de « whistleblower » ou de « lanceur d'alerte ».
Figure courante dans le monde anglo-saxon, longuement étudiée par des chercheurs et mise en scène au cinéma, le « whistleblower » révèle ce qu'il estime être un dysfonctionnement grave (finance, sécurité...) et effectif au moment de l'alerte, au sein d'une institution dont il fait partie, parfois par le biais d'une tierce partie lorsqu'il décide de ne pas divulguer personellement ses informations au public. Voir Edward Snowden, Chelsea Manning, W. Mark Felt (Gorge Profonde), Julian Assange et WikiLeaks...
Le « lanceur d'alerte » européen, tel que défini par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torcy, est considéré comme une vigie qui prévient d'un risque futur, évoluant le plus souvent dans les milieux scientifiques et alertant sur des sujets environnementaux, de santé, sociaux... Voir Irène Frachon, Roger Langlet et Jean-Luc Touly...
L'étude de ces figures les différencie généralement en ce que le « lanceur d'alerte » s'incrit moins dans la problématique morale. Le « whistleblower » est souvent un personnage controversé, dévoilant des informations supposées être confidentielles, jugée de manière illégale par la justice, ou attaqué sur son éthique personnelle lorsqu'il évolue dans un milieu opaque comme la finance, la surveillance, la sécurité ; contrairement au « lanceur d'alerte » qui envisage un risque à venir basé sur des recherches, expertises, enquêtes...
Dans les faits, la frontière entre ces deux personnages est ténue, la distinction rarement effectuée, et la dimension morale supposée les différencier à l'origine devient de plus en plus floue.
Pour approfondir :
Lanceur d'alerte ou « leaker » ? Réflexions critiques sur les enjeux d'une distinction, Jean-Philippe Foegle, La Revue des Droits de l'Homme, 2016.
À lire :
Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?, Yohann Blavignat, Le Figaro, décembre 2016.
Dévoiler pour la bonne cause : portraits de huit "lanceurs d'alerte", Arte, décembre 2014.
l'éthique supérieure aux lois
Les « whistleblowers » prennent des risques importants pour divulguer leurs informations, poussés par des questions d'éthique et de morale, un désir de transparence et de vérité. La loi punissant la révélation d'informations confidentielles, et lorsque leur hiérarchie est alertée mais n'agit pas, les « whistleblowers » choisissent de communiquer leurs informations illégalement en connaissance de cause, mais en estimant que la révélation de situations posant de fortes questions d'éthique vis-à-vis du grand public prend l'ascendant sur leur acte.
« Le système globalisé de surveillance de masse de la NSA était hors-la-loi. Et la justice est tombée d'accord avec moi. Le Congrès a finalement changé la loi, en plaçant de nouvelles restrictions sur les pouvoirs de la communauté du renseignement. »
Edward Snowden
Cependant, en l'état, ces deux aspects ne sont pas dissociés. Si les médias, la justice et le grand public s'emparent des affaires, leur donne de l'ampleur et valide le risque pris, l'acte du « whistleblower » n'en est pas écarté pour autant, et il est donc également sujet à une procédure pénale importante, menacé par des peines très lourdes.
Edward Snowden s'est exilé en Russie pour échapper à la Justice et Chelsea Manning purge une peine de 35 années d'emprisonnement pour violation de la loi sur l'Espionnage.
Julian Assange, qui n'est pas lui-même lanceur d'alerte mais facilite le « whistleblowing » grâce à la plate-forme WikiLeaks, est réfugié depuis 2012 dans l'ambassade d'Équateur à Londres afin de ne pas être extradé vers la Suède où il est accusé d'agression sexuelle et de viol.
Pour approfondir :
Les diseurs de vérité ou de l'éthique énonciative, Marie-Anne Paveau, Pratiques, 2014.
À lire :
Les lanceurs d'alerte inventent-ils une nouvelle forme de démocratie ?, Michel Abescat et Olivier Tesquet, entretien avec Geoffrey de Lagasnerie, Télérama, mars 2015.
Lanceurs d’alerte : en France comme en Allemagne, des lacunes dans leur protection, Mélanie Chenouard, Katia Beau, Loïc Bertrand, Arte, décembre 2016.
La protection juridique des lanceurs d'alerte
Diffuser au grand jour des pratiques contraires à l'intérêt général fait courir des risques importants aux lanceurs d'alerte. Une soixantaine de pays ont mis en place un arsenal de lois censées les protéger.
Aux États-Unis, les lanceurs d'alerte sont protégés par le Whistleblower Protection Act. Mais son champ d'application reste très limité car la protection ne s'applique que dès lors que « sa révélation n'est pas interdite par la loi » ou que le pouvoir exécutif n'a pas exigé « que l'information reste secrète ». Les employés fédéraux du pouvoir exécutif et du renseignement, comme Bradley Manning ou Edward Snowden, ne bénéficient quant à eux d'aucune protection.
En France, après six lois successives adoptées entre 2007 et 2015, la "loi Sapin II", promulguée en décembre 2016, reconnaît l’existence des lanceurs d’alerte et pose le cadre de leur protection. Selon cette nouvelle loi, le lanceur d'alerte « révèle ou témoigne, dans l'intérêt général et de bonne foi, d'un crime ou d'un délit, de manquements graves à la loi ou au règlement, ou de faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, la santé ou la sécurité publique ».
Dans la version de cette loi réécrite par le Sénat, toute personne voulant révéler des pratiques illicites dans une institution ou dans une entreprise doit d'abord en avertir son supérieur hiérarchique, puis un interlocuteur externe comme la justice, avant de pouvoir donner ses informations à la presse. Une procédure particulièrement contraignante.
A lire :
A Paris comme à Bruxelles, les lanceurs d'alerte trahis par les mots,Renaud Lecadre, Libération, 27 mai 2016.
William Bourdon : «Il faut accorder une forme d’immunité aux lanceurs d'alerte», Libération, 24 avril 2016.
Que révèle la multiplication des lanceurs d'alerte ?
D'Antigone à Henry-David Thoreau, les grandes figures qui font prévaloir leur conscience sur le devoir d'obéissance ont toujours existé. Mais depuis une vingtaine d'années, leur nombre augmente de façon significative. Si le développement des technologies facilite aujourd'hui la diffusion de documents et la divulgation de certaines informations, l'augmentation du nombre de lanceurs d'alerte révèle d'abord une crise des démocraties dont les mécanismes de contôle fonctionnent mal : les lanceurs d'alertes divulguent des pratiques que l'Etat ne réussit plus à contrôler. L'instauration du droit d'alerte serait alors l'aveu de l'impuissance de la chose publique, le lanceur d'alerte apparaissant alors comme un dernier rempart dans une société où les contrôles sont défaillants.
A lire :
Amère victoire pour les lanceurs d'alerte, Albert Ogien, Libération du 20 juin 2016.
Pour approfondir :
Les lanceurs d'alerte, vigies citoyennes, Nicole Marie Meyer, chargée de mission à Transparency International France.
Aux États-Unis, une cybersurveillance digne d'un Etat policier, entretien avec Daniel Ellsberg, Le Monde des Idées, 25 juin 2013.