Miroir du monde contemporain, l'aéroport réunit dans un seul espace le romantisme du voyage et les migrations forcées, le sentiment de liberté et la surveillance. À l'occasion de l'exposition Aéroports / Ville-Monde, ce dossier documentaire rassemble articles, références d'ouvrages et cartographies pour croiser les regards de sociologues, de géographes, de cinéastes...
Un lieu au carrefour de tous les flux
Symbole majeur de la mondialisation de nos sociétés, l'aéroport est devenu un espace économique de première importance. Les aéroports se transforment aujourd'hui en de véritables plates-formes, concentrant logistique, parkings, hôtels, commerces et centres d'affaires. Le plus souvent situé en périphérie des agglomérations, l'aéroport apparaît comme une "ville dans la ville".
« Je pense que l'aéroport sera la véritable ville du XXIème siècle. Les grands aéroports sont déjà les banlieues d'une capitale mondiale invisible, une métropole virtuelle dont les faubourgs se nomment Heathrow, Kennedy, CDG, Nagoya, une ville centripète dont la population circulera toujours autour de son centre imaginaire sans nécessiter d'y avoir accès. » (J.G. Ballard, The Ultimate Departure Lounge)
L'aéroport est par définition un lieu de passage, un "espace des flux" selon l'expression de Manuel Castells. Lieu de départ, qui cristallise un imaginaire lié au voyage et à la liberté, la zone aéroportuaire peut se transformer pour certains en lieu de rétention, où des migrants sont parfois immobilisés plusieurs semaines. En effet, le contrôle des flux immigratoire et la répression de l'immigration clandestine ont avant tout lieu dans les zones aéroportuaires. En France, en 2009, les refus d'admission sur le territoire ont été de 14 280 dont 78 % dans les aéroports. Les étrangers en instance d'éloignement du territoire sont "retenus" au centre du Mesnil-Amelot à quelques centaines de mètres de Roissy-Charles de Gaulle. Aux Etats-Unis, le décret anti-immigration signé par Donald Trump le 27 janvier 2017 a aussi entraîné l'immobilisation de dizaines de personnes dans les aéroports.
© Adrian Paci - Centro di Permanenza Temporanea - Courtesy Galerie Kaufmann Repetto
À lire :
La prise en charge ambiguë des "mineurs isolés étrangers" détenus en zone aéroportuaire, metropolitiques.eu, par Adeline Perrot, avril 2015
Les victimes du décret anti-immigration de Trump expriment leur angoisse et leur détresse, Le Monde, 30 janvier 2017
Pour approfondir :
Manuel Castells, La société en réseaux. L'ère de l'information, Paris, Fayard, 1998
Le contrôle, de la sécurité à la consommation
Jusqu'à la fin des années 50, les aéroports sont des lieux relativement ouverts où l'on peut admirer en famille le spectacle des avions. Dès les premiers attentats spectaculaires des années 80 mais surtout après le 11 septembre, les aéroports voient leur système de sécurité et de surveillance renforcés. Nœuds du réseau de trafic aérien, les aéroports deviennent des lieux particulièrement sensibles où se concentrent toutes les technologies de surveillance : puces RFID, biométrie, "body scanner"...
Aéroport de Stockholm, 2013, cartographie de Philippe Rekacewicz
Alors que le trafic aérien s'effondre au milieu des années 2000 et que les compagnies aériennes connaissent une profonde crise économique, les États se désengagent de la gestion des aéroports qui est confiée à des sociétés mixtes ou privées. Les espaces publics des zones aéroportuaires sont peu à peu grignotés par les espaces marchands. Selon le géographe et cartographe Philippe Rekacewicz, « le terminal se transforme en un espace à la fois hypercommercial et hypersécurisé, dont les voyageurs deviennent captifs. Les gestionnaires des lieux imaginent une autre organisation des flux ; ils créent un système de circulation forcée qui convertit les aéroports en laboratoires. »
À lire :
La dure réalité des agents de sûreté de Roissy, Le Monde, par Julien Guintard, décembre 2015
Aéroports, de l'espace public à l'espace privé, par Philippe Rekacewicz, Le Monde Diplomatique, février 2013
L'aéroport au cinéma
Lieu cinématographique par excellence, l'aéroport permet de confronter l'intimité des retrouvailles ou des adieux à l'espace impersonnel de l'aéroport. Pour l'urbaniste Nathalie Roseau, les aérogares offrent aussi des espaces appropriés aux anticipations, comme La Jetée, le photoroman de Chris Marker (1962), ou L'Armée des 12 singes, qui en est son adaptation par Terry Gilliam (1995). Dans Playtime (1967), Jacques Tati ouvre et clôt son récit avec le décor de l'aéroport qui semble incarner tout l'imaginaire de la ville moderne. L'aéroport d'Orly, recréé par le décorateur Eugène Roman dans les studios de Joinville-le-Pont, ressemble autant à un aéroport qu'à un hôpital : le lieu aseptisé est traversé par deux nonnes, par un homme en blanc poussant un chariot...
À visionner :
Blow Up : L'aéroport au cinéma (Arte), 18 min.
À lire :
Nathalie Roseau, Habiter la grande échelle in Habiter les aéroports : paradoxes d'une nouvelle urbanité sous la direction d'Andrea Urlberger, Genève, Métispresses
L'aéroport dans l'art in situ
A l'occasion de l'exposition Aéroport/ ville-monde, Virginie Pringuet, conceptrice du projet Atlasmuseum, a proposé un editathon de notices d'œuvres in situ réunies autour de la thématique de l'aéroport et de la vision aérienne. Une collection d'oeuvres en relation au monde aéroportuaire et à la cartographie est à retrouver sur la plateforme Atlasmuseum : chacun peut ajouter une description d'oeuvre d'art dans l'espace public et contribuer à cette collection. Atlasmuseum est un site contributif permettant la création de cartographies et de notices d’œuvres dédiées à l’art dans l’espace public.