Benoit Hické a sélectionné un film qui raconte Liverpool, la ville des Beatles, et qui dans les années 90 continue de vibrer aux sons de musique pop pour oublier la morosité et la crise de l'époque.
You'll never walk alone
Réalisé par Jérôme de Missolz et Eveline Ragot
France, 1992, 90’
Avec Ian McCulloch, Michael et John Head, Edgar Summertime, Pete Wylie, Adrian henri, Dr Phibes, The Christians… et la participation de Jean-Daniel Beauvallet (journaliste aux Inrockuptibles). A Liverpool, ville au bord du gouffre, en 1992, on rêve ou on crève. Trente ans après les premiers pas des Beatles, les jeunes vivent encore la musique comme le seul moyen de déjouer la crise et de s’en sortir. "Ici tu deviens criminel, ou footballeur, ou musicien, moi j’ai essayé les trois" nous confiera l’un d’entre eux. "Nous avons pris l’option de nous en tenir à la musique comme révélateur", expliquent les réalisateurs, "sans s’attarder sur les clichés de la crise, grâce à la diversité des personnages, la richesse des lieux et des situations du quotidien, grâce aussi à une structure polyphonique combinant les différentes strates de musique populaire, nous avons tenté de suivre des trajectoires et des sensibilités différentes, d’approcher les réalités et les vibrations d’une ville magique : Liverpool". "J’ai connu un tournant dans ma vie, au début des années 90, en quittant le cinéma institutionnel et pour quelques temps le cinéma expérimental pour le documentaire "pur et dur". Il y a eu d'abord le film sur le photographe tchèque Jan Saudek qui récolta de nombreux prix dans les festivals internationaux, puis "You'll Never Walk Alone". En lisant les Inrocks, mensuels à l’époque, les papiers de Jean-Daniel Beauvallet ou d’autres m'ont donné envie d’aller voir de plus près à quoi ressemblait la nouvelle scène de Liverpool. La ville elle-même était attirante, insensée, vampirisante, une vraie île dans l'île. Pendant les années Thatcher, c’était vraiment "Liverpool la Rouge", une ville en rébellion…et puis il y avait Les Reds, l'équipe de foot aux nombreux trophées. J’ai alors proposé à mon amie Evelyne Ragot de faire le film avec moi, car j’aime bien, parfois, faire des films en binôme, surtout pour des tournages comme ça, un peu à l’arrache, compliqués sur le plan humain. Après des repérages assez longs, nous avons trouvé opportun de raconter la vie de ces "Petits enfants des Beatles", dans cette ville où une génération de musiciens succédait toujours à la précédente. Un film assez viscéral, organique, qui tenterait de révéler la particularité génétique de Liverpool, sa beauté en même temps que sa dureté, berceau de la musique pop, mélange d'aspects destroy et d'une poésie magnifique qui semble pouvoir sublimer le réel terrifiant. On a très vite vendu le projet à La Sept (l’ancêtre d’Arte), aux programmes Jeunesse ! J’ai également rencontré une productrice qui avait beaucoup aimé "Jan Saudek – Prague printemps 1990", qui a impliqué Polygram dans le projet: une petite structure à l’intérieur de cette grosse major a pu apporter le complément de financement. Faire un film en Super 16, à l'époque, ça coûtait tout de suite assez cher, si l'on y ajoute les droits d’utilisation de la musique, etc... Les personnalités de Michael Head et Ian McCulloch nous ont très vite incités à en faire les personnages principaux du film, mais nous tenions aussi à nous attacher à des musiciens moins connus (comme les Stairs ou les Christians) et aussi aux pratiques musicales populaires de cette ville, comme les fanfares et les chorales. Cet aspect polyphonique du récit est sans doute ce qui fait la vraie originalité du film aujourd'hui, l'élevant quasiment à un niveau de culte. J'avoue que c'est, parmi toute ma filmographie, le film auquel je suis le plus attaché, tant et si bien que j'envisage aujourd'hui d'aller retourner à Liverpool, non pas pour montrer la génération de musiciens qui a succédé aux Pale Fountains, Echo and the Bunnymen, Julian Cope etc... mais plutôt pour tenter de faire un film entier avec Michael Head, que j'ai refilmé plusieurs fois depuis 92, que ce soit avec Arthur Lee, le leader des Love, ou lors de la reformation des Pale Fountains en février 2008. Je pense que le niveau de songwriting de Mick égale celui d'un John Lennon, et pourtant, il restera à jamais méconnu, sombrant peu à peu dans une marginalité inéluctable. Aujourd'hui, Liverpool a beaucoup changé, beaucoup d'argent a été injecté dans la ville. les docks paraissent flambants neufs, et toute cette culture populaire (le fameux "Scouse phenomenon") a presque totalement disparu, muséographié de manière assez triviale. C'est super triste, mais heureusement, quelques incorruptibles comme Michael Head continuent à en traduire l'esprit et l'âme véritable." Jérôme de Missolz, 12 juillet 2011Invités : Jérôme de Missolz (réalisateur) et Jean-Daniel Beauvallet (journaliste aux Inrockuptibles)