D comme DOCUMENTAIRE

D comme DOCUMENTAIRE

MOVING_IMAGE interprète la quatrième lettre de l'abécédaire.

Un abécédaire d'œuvres vidéos, filmiques et multimédias...

Chaque mois, Moving_image propose un éclairage critique et prospectif sur ce domaine aux frontières mouvantes, où convergent à la fois un questionnement esthétique, social et politique de notre époque, et des enjeux liés à l’évolution des modes de production et de diffusion. Transversales et ouvertes, les séances se déroulent en présence d'artistes invités qui parlent de leur travail et de leurs recherches, ainsi que d'intervenants chroniqueurs qui apportent un regard singulier ou décalé sur la séance.

La forme de chaque séance est elle-même questionnée, redéfinie avec les artistes présentés, afin d'explorer d’autres possibilités de relations avec le public présent ou en ligne, la possibilité d’autres modes de réception et d’expérience collective des œuvres.

Un cycle proposé par Nathalie Hénon et Jean-François Rettig.

La question documentaire fait probablement partie des aspects les plus significatifs de la création audiovisuelle contemporaine.
Nous assistons depuis une dizaine d’année à l’émergence de nouvelles formes, une diversité d’approches documentaires qui interrogent notre rapport au réel et à ses représentations, qui questionnent la spécificité des lieux, et explorent les relations de l’individu au réel fictionné et à l’Histoire. Loin d’être exhaustive, cette séance souhaite proposer un aperçu d’approches documentaires significatives.
Alicia Framis filme en plan séquence les employés d’une grande banque aux Pays-Bas immobiles et figés dans leurs gestes quotidiens. Natacha Nisic filme en plan séquence les mains des ouvrières et des ouvriers qui racontent leur travail à la chaîne et leurs gestes dans l’usine de filature Desurmond à Tourcoing, fermée en 2004. Libia Castro et Ólafur Ólafsson proposent le portrait de deux aides soignantes venues d’Ukraine et de Roumanie et leurs patients âgés, combiné à une musique pour soprano, chœur de femmes et hautbois, composée à partir d’un article de journal décrivant ce phénomène. Phillip Warnell observe la maquette d’une partie de Whitechapel à Londres réalisée par John Merrick, l’homme éléphant, entrecoupé par des extraits de ses notes autobiographiques. Eléonore de Montesquiou interroge les vestiges d’une radio ouvrière dans une usine à Riga, suit le récit d’une femme ingénieur qui a travaillé là il y a des années. La séance se terminera avec un film rare de Peter Weiss, filmant les visages d’enfants, d’ouvriers et de clochards, et l’ombre existentielle sur chacun d’entre eux et autour d’eux.

Alicia Framis : Secret Strike, Rabobank

Vidéo, couleur, 00:09:17, Espagne/Pays-Bas, 2004

 

Tout le monde est paralysé, des sept directeurs de la banque, jusqu’aux femmes de ménage, aux agents de sécurité et aux dizaines de salariés en train de déjeuner à la cantine. Ce qui reste est une chorégraphie secrète des corps qui ont atteint leur point d’arrêt, apparemment sans raison. Alicia Framis s’est demandé ce qui se passerait si nous arrêtions de faire les choses que nous faisons toujours, jour après jour, heure après heure. Contrairement à une véritable grève, dans laquelle les outils sont délaissés consciemment, comme un moyen d'atteindre une fin, la performance Secret Strike d’Alicia Framis porte sur la confrontation avec soi-même. Une grève peut être quelque chose de personnel, petit, modeste mais puissant, si quelqu'un arrête de travailler tous les jours quelques minutes pour penser ou résister, cela pourrait être plus dangereux qu’une grande grève planifiée.

Alicia Framis est née en 1967 à Barcelone, en Espagne. Elle vit et travaille à Amsterdam. Elle a étudié les beaux arts à l'Université de Barcelone et à l'Ecole de Beaux-arts de Paris. Elle a également complété sa maîtrise à l'EHESS à Paris et à la Kunstende Rijksakademie Van Beelde, Amsterdam. Alicia a vécu et travaillé à Barcelone (1985-1990), Paris (1990-1993) et Amsterdam (1995-2005). Son travail a été exposé et diffuse dans de nombreux musées et événements en Europe et internationalement, notamment à la Biennale de Venise, au Centre Pompidou, à la Biennale de Moscou, au Musée Picasso de Barcelone, au Musée d’art moderne de Stockholm.

Natacha Nisic : Le textile est mort mais les gens vivent encore

Documentaire exp., couleur ,00:12:07, France, 2009

L’usine Desurmond à Tourcoing a fermé en 2004. C’était la dernière usine de filature de cette région. Les ouvriers se sont regroupés en association afin de faire valoir leurs droits et créer une communauté, au delà de la perte du travail. Les hommes puis les femmes ont reproduits la chaine et les gestes du travail à la chaine dans cette filature. Certains y ont travaillé en équipe de nuit pendant 35 ans.

Natacha Nisic est née en 1967. D’abord étudiante à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, elle poursuit son cursus à la Deutsche Film und Fernseh Akademie de Berlin et à la Femis à Paris pour l`écriture de scénario. Elle réalise de nombreuses expositions et films où la question de l`image est mise en jeu. Elle utilise pour cela différents médiums : super 8, 16 mm, vidéo, photographie. Images fixes ou en mouvement fonctionnent comme substrat de la mémoire, mémoire tendue entre sa valeur de preuve et sa perte. Ces oeuvres ont été montrées dans de nombreux pays, Allemagne, Espagne, Japon, Corée, canada, Argentine... Ses films sont diffusés sur Arte et au Centre Pompidou à Paris. Elle a été pensionnaire de la Villa Kujoyama (2001) et de la Villa Médicis (2007).

Libia Castro, Ólafur Ólafsson : Caregivers

Documentaire exp., couleur, 00:14:00, Espagne/Islande/Italie/Pays-Bas, 2008

Intéressés pas l’histoire complexe des femmes ouvrières dans la région de Rovereto dans le nord de l’Italie, Libia Castro and Ólafur Ólafsson ont produit la vidéo « Caregivers » dans le cadre de Manifesta 7. La vidéo portraitise deux infirmières émigrantes venues d’Ukraine et de Roumanie et leurs patients âgés, dans leurs relations et leur travail quotidien. Pour la bande son, les artistes ont demandé à la compositrice Karólína Eiríksdóttir d’écrire une partition à partir d’un article du jeune journaliste Davide Barretta, décrivant ce phénomène récent en plein développement. Karólína Eiríksdóttir a compose une musique pour soprano, chœur de femmes et hautbois. La vidéo combine des séquences, montées avec la bande son,  tournées dans deux foyers du nord de l’Italie, avec des séquences documentant les chanteuses et les musiciens enregistrant la cantate en Islande. Se juxtaposent journalisme, documentaire et musique contemporaine.

Libia Castro et Ólafur Ólafsson, respectivement de nationalité espagnole et islandaise, vivent et travaillent actuellement entre Berlin et Rotterdam. Ils se sont rencontrés aux Pays-Bas en 1997, où ils ont débuté leur collaboration artistique. Ils explorent les relations existantes entre l’art, la vie quotidienne, les problématiques sociopolitiques ou liées au croisement des cultures. Ils s’interrogent sur les manières dont la globalisation affecte les cultures locales, transforme les industries nationales, et a mené à une augmentation de la mobilité tout en creusant les injustices sociales. Castro et Ólafsson réalisent leurs projets en lien avec un lieu, une situation donnée, et travaillent souvent en collaboration, que ce soit avec d’autres artistes, des professionnels, des citoyens locaux, des décisionnaires, des activistes, ou avec des immigrants illégaux, qui servent alors de catalyseurs dans des contextes donnés. Ils opèrent par assemblage, par re-présentation, avec des éléments hétérogènes qui viennent déstabiliser une situation donnée, il peut s’agir de conflits spécifiques, ou de groupes sociaux qui passent inaperçus, et ils opèrent ensuite un mouvement de retour vers ces communautés de départ, avec des vidéos documentaires, des performances publiques, de la sculpture, des photographies, des interventions ou des installations multimédias. Castro et Ólafsson ont représenté l’Islande à la 54ème biennale de Venise en 2011. Leur travail est également montré dans expositions internationales, des musées, des centres d’art contemporain, des galeries, des biennales. En 2008 ils ont participé à la Manifesta 7. En 2009, ils reçoivent le troisième prix du prestigieux prix d’art hollandais, Prix de Rome, pour leur travail vidéo Lobbyists.

Phillip Warnell : I First Saw the Light

Film experimental, couleur, 00:12:00, Royaume-Uni, 2012

La maquette d’un quartier du Whitechapel de Londres, imaginé par John Merrick, l’homme éléphant du film éponyme de David Lynch. La caméra tourne autour. Le film est entrecoupé par des textes de Merrick. Tout simplement, presque religieusement, dans un silence qui force à se projeter, ailleurs, ici...

Phillip Warnell est un artiste interdisciplinaire basé à Londres. Durant les dernières années, il a utilisé le corps comme un lieu d’exploration, produisant une série d’œuvres à la frontière de la performance, du visuel et du sonore. À travers différents médias spécialisés – tels que les performances, les rencontres filmées, les œuvres participatives, la vidéo, la photographie, le texte, les ultrasons, les caméras ingérées et les films tournés en caméra ultra rapide – une part considérable de son œuvre se concentre sur lui-même, sur l’exploration de l’intérieur de son corps, son « intérieur-ité ». Le corps ne constitue pas l’unique objet de son œuvre : celui-ci existe comme un repoussoir, un point d’orientation, devenant l’hôte d’une démarche d’investigation qui enregistre et transmet des transformations chimiques et biologiques cachées, souvent devant un public présent. Le corps devient un objet plus qu’un sujet, faisant émerger la question du point de vue, de la subjectivité et de la représentation.

Eléonore de Montesquiou : Radiotehnika

Documentaire exp., noir et blanc, 00:18:51, France/Lettonie, 2011

"Radiotehnika" est un film au sujet des dernier vestiges d’une radio ouvrière dans une usine à Riga. C’est aussi un film au sujet d’une femme ingénieur qui a travaillé là il y a des années. Elle parle du temps, de l’époque soviétique et de son organisation sociale dans l’usine. Eléonore de Montesquiou était intéressée par son parcours et comme, en tant que femme, elle choisit de devenir ingénieur.

Eléonore de Montesquiou (1970, Paris, France) est une artiste franco-estonienne. Son travail s’intéresse aux articulations entre histoires privées et officielles, identités personnelles et nationales. Elle interroge les intrications et les ambigüités des marginalités, à partir de son expérience personnelle du déracinement. Elle travaille principalement avec la vidéo, enregistre des témoignages, comme autant de mémoires compensatoires d’histoires réprimées. Dans son travail, sa caméra devient la voix de ces personnes muettes. Son travail est basé sur une approche documentaire, traduite en film, dessins et textes, et s’implique principalement sur les problématiques de l’intégration/immigration/signification d’une nation en Estonie, donnant voix à la communauté russe.

Peter Weiss : Faces in the Shadows

Documentaire exp., noir et blanc, 00:12:58, Suède, 1956

Peter Weiss (1916-1982) est écrivain, également cinéaste, peintre et artiste graphique. Né en Allemagne, il adopte la nationalité suédoise après avoir fui l’Allemagne nazie. Il est plus particulièrement connu pour ses pièces « Marat/Sade » et « L’instruction », et son essai « L’esthétique de la résistance ». De 1952 à 1961 il réalise 11 films, d’abord abstraits expérimentaux avec la série « Studies I-V », il s’intéresse par la suite à fiction et à la forme documentaire notamment avec  « Faces in the Shadows » et « According To Law ».