Etat des lieux du corps et des gestes à l’ère des technologies numériques, une intervention de Mathilde Chénin.
Au cœur des anticipations tour à tour catastrophistes ou porteuses d'utopies, qui ont accompagné depuis le milieu du XXe siècle le développement des nouvelles technologies, le devenir du corps physique et celui de la matérialité, tous deux inexorablement appelés à disparaître au profit d'un flux incessant et impalpable d'informations. Alors que la communication humain-machine n’est plus de l’ordre de la science fiction et que se multiplient surfaces tactiles, outils d'interaction avec la machine via la captation en temps réel du mouvement et autres procédés dits de « réalité augmentée », le corps apparaît aujourd’hui, à la fois et paradoxalement, comme ce véhicule encombrant et périssable, rétif à l’impérieuse nécessité de fluidité que commande la communication avec l’ordinateur, et comme l’ultime périphérique, le siège inédit d’exécution des algorithmes qui sous tendent les prothèses numériques dont nous nous trouvons désormais affublés.
Le geste, dont nous faisions jusqu’à lors l’expérience en tant que signifiant - en ce qu’il accompagne la parole ou s’y substitue - devient à proprement parler opérant, déclencheur de boucles rétroactives et autres commandes machine. Nous serions même sur le point d’atteindre, selon les mots de Patti Maes, chercheuse au M.I.T., le rêve ultime de l’interface parfaite, celle qui viendrait prendre littéralement corps en nous et se confondre avec nos perceptions biologiques. Ainsi, bien loin d’inaugurer l’ère de « l’homme couché » comme le prédisait Paul Virilio dans l’Inertie Polaire (2002), il semble au contraire que les nouvelles technologies inaugurent un rapport inédit aux corps et aux gestes et bouleversent profondément les vécus kinesthésiques.
En s’appuyant à la fois sur les représentations de pratiques quotidiennes des nouvelles technologies (jeux vidéos, outils de communication à distance, etc.) et sur la manière dont ces dernières se trouvent investies dans le champ de la création contemporaine, cette communication interrogera les formes, modalités et conséquences kinesthésiques de l’entrée du corps dans « l’ère du tactile », et envisagera les conséquences du rapport inédit de ce dernier avec des données immatérielles.
Conférencière
Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy en mai 2011, Mathilde Chénin développe depuis son travail plastique et théorique au sein de résidences de recherche (Géographies Variables, Québec, 2012 ; La Box, Bourges, 2013). Elle prend également part à des processus collectifs de réflexion quant aux formes discursives de la performance (Edition Spéciale, Station, Belgrade, 2012), et intervient dans des workshops qui explorent les possibles passerelles entre pratiques chorégraphiques et pratiques algorithmiques (Inscription, corps, machine, E.N.S.A.P.C., Gaîté Lyrique, 2012).