Un rendez-vous proposé par l'école HETIC (Hautes Etudes des Technologies de l'Information et de la Communication).
« Le monde est au bout de nos doigts ». On ne compte plus les lieux communs qui se déploient autour de ce thème. Cela fit le succès de « Petite Poucette » de Michel Serres. En interrogeant cette évidence, nous ouvrirons pourtant des voies inédites à la réflexion. Prenons trois exemples pour commencer ces « méditations rousseauistes ».
1. L'extension du présent rendue possible par les réseaux va de pair avec un dé-racinement des vies singulières. Le passé et le futur cessent d'être constitutifs d'une unité existentielle au profit de renvois extensionnels abstraits : la référence se substitue au temps vivant.
2. Ce présent étendu, nous dit-on, « rétrécit le monde et rapproche les gens ». Mais cela n'est vrai que pour les data. Les données sont contemporaines pour autant qu'elles sont disponibles. Le réel comme co-présence est une vieille définition. Mais l'effort des penseurs post-cartésiens fut de montrer, dès Pascal et Rousseau, l'incapacité des repères galiléens à prendre en compte les dimensions proprioceptives et la conscience de soi. La remords, la honte, tout comme le désir amoureux ou l'horizon poétique sont autant de marques d'une existence sans repères externes de type spatio-temporel. L'intériorité et l'intimité sont-elles bannies du monde des data ?
3. La part prise par le visuel et le tactile dans nos outils est appelée à croître. Notre quotidien se peuple de prothèses sensorielles. On nous parle d'« humanité augmentée ». Mais ces extensions sont issues des technologies militaro-industrielles et l'humanité augmentée nous présente l'idéal d'un « devenir-drone » qui fait de notre corps de chair un analogon sauvage et aléatoire pour ce réel-à-venir dont les qualifications sont déterminées par la sectorisation des industries de pointe issues de l'appareil militaro-industriel américain. Les Lunettes Google ne sont-elles pas la banalisation des dispositifs rodés par les militaires en Afghanistan ?
Comment concilier ces instruments de mobilité en milieu hostile avec la richesse nouvelle dans la communication interpersonnelle associée aux réseaux sociaux ? En interrogeant le découplage entre le numérique et l'affectivité, nous découvrirons d'autres paradoxes qui nous éloigneront d'une doxa contemporaine.
Gérard Wormser : http://www.canal-u.tv/auteurs/wormser_gerard
Philosophe et éditeur, fondateur et directeur de la revue électronique internationale Sens Public et de son laboratoire « Editorialisation des SHS » à la MSH-Paris-Nord.
Membre du comité de rédaction des Temps modernes, Gérard Wormser est agrégé et docteur en philosophie.
A l'ENS de Lyon, il anime depuis 2005 un cycle permanent de conférences en partenariat avec le Grand Lyon, dont procèdent les entretiens filmés disponibles sur CanalU.
Spécialisé en phénoménologie, morale et politique, il a soutenu une thèse sur Jean-Paul Sartre.
Il préside le jury de la Bourse Max Lazard à Sciences Po. Paris.