Dans cette conférence performée, Julien Prévieux, Emmanuel Didier et Anne Steffens analysent la quantification de nos vies et composent une partition textuelle et chorégraphique, croisant ethnomathématique, littérature, self-tracking.
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Conférence-performance de Julien Prévieux, Emmanuel Didier et Anne Steffens
Le géant du meuble en kit suédois a lancé l’an dernier une ligne de tapis imaginés par des artistes contemporain·e·s. Pour pouvoir les acquérir, dans certains pays d’Europe, les consommateur·rice·s devaient prouver leur coup de foudre pour le produit en se soumettant à un électro-encéphalogramme. Seul·e·s les consommateur·rice·s aux meilleurs scores ont pu procéder à l’achat.
La mise en chiffres de nos vies s’est généralisée pour se loger dans nos poches ou à nos poignets sous la forme de contrôleurs d’activité "embarqués" ou d’opérations marketing farfelues. Si les pratiques Quantified Self peuvent servir à faire le buzz, la quantification globale ne va pourtant pas de soi. Les statistiques anciennes comme le taux de chômage ou les sondages sur les intentions de vote soulèvent des débats récurrents. Il en va de même pour la "politique du chiffre" qui vise à optimiser le management en entreprise ou dans les services publics. Et le calcul de la "valeur de la vie", cet équivalent monétaire cher aux assurances, provoque questions et indignations.
Pourtant, tous les chiffres ne sont pas délétères, et c’est bien pourquoi nous nous en entourons. Il est bien utile de pouvoir compter le nombre d’enfants dans une classe pour organiser des sorties ou le nombre d’œufs dont nous avons besoin. Les chiffres sont souvent utiles pour formuler des revendications et obtenir de meilleures conditions de travail et de vie. Le chiffre ne construit donc pas seulement une matrice qui nous enferme ; il peut aussi, à condition que nous osions et sachions le mobiliser, être un puissant outil d’émancipation.
Si les nombres font polémique au point de provoquer parfois leur rejet pur et simple, la "quantophrénie" est plus que jamais contagieuse. Cette maladie imaginée a pour principal symptôme la mesure excessive ou la conversion fanatique de tout phénomène social ou humain en langage mathématique. Elle est iconique d’un état du monde contemporain pris dans ses contradictions : plus les données numériques recouvrent la réalité, plus la gestion comptable du monde provoque excès délétères, apories et malaises. Ainsi la question qui surgit est de savoir comment sauver la mesure de son excès ? Comment sauver les nombres utiles sans les noyer dans une mer de prétention injustifiée à l’objectivité ?
Julien Prévieux, Emmanuel Didier & Anne Steffens reviennent ensemble, à l’occasion de cette conférence performée, sur la quantification de nos vies et composent une partition textuelle et chorégraphique en croisant pêle-mêle recherches ethnomathématiques autour des systèmes de numération corporelle, analyses des calculs économiques pour estimer le coût d’une vie, expériences de self-tracking et révision du fameux calcul de la surface de Dieu d’Alfred Jarry. L’expression de Schrödinger n’a jamais été aussi démontrable qu’aujourd’hui, "la vie est trop compliquée pour être entièrement accessible aux mathématiques". Reprenons la main sur les chiffres. À la lettre.
Invité·e·s
- Julien Prévieux : son oeuvre se développe en interrogeant les mondes du travail, de l’économie, de la politique ou en jouant avec les dispositifs de contrôle, les technologies de pointe et les théories du management. Il est lauréat du prix Marcel Duchamp 2014.
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Emmanuel Didier : sociologue, directeur de recherche au C.N.R.S., membre du Centre Maurice Halbwachs à l'Ecole normale supérieure. Il est aussi membre du Conseil consultatif national d'éthique. Ses travaux actuels portent sur les transformations de la santé opérées par les nouvelles formes de quantification et de numérisation des individus (séquençage du génome, e-santé, nouvelles bases de données, etc.) qui se développent aujourd'hui à l'intersection des grandes entreprises et des grands corps de l'Etat. Il est rédacteur en chef de la revue Statistique et société.
- Anne Steffens : comédienne, elle joue actuellement dans Reconstitution : le Procès de Bobigny d'Emilie Rousset et Maya Boquet et Carrousel de Vincent Thomasset, présentés cette année dans le cadre du Festival d'Automne. Au cinéma, elle a notamment tourné sous la direction de Gabriel Harel, Frédérique Devillez, Benjamin Nuel et Benoit Forgeard.
Cette rencontre fait partie du cycle de performances et de conférences transdisciplinaires "Et bien, dansez maintenant !", conçu en collaboration avec les artistes Julien Prévieux et Jeff Guess.