Communiqué • 14 décembre 2024
Occupation de la Gaîté Lyrique : aucune proposition de résolution par les autorités compétentes, plusieurs événements annulés
Le meilleur moyen de vérifier qu’un disparu ne l’est pas vraiment, c’est de demander à ses pairs si ils visualisent son empreinte. On a posé la question à Maud Geffray et Rubin Steiner, qui ont tous les deux “Messe pour le Temps Présent” dans leur bac à disques.
Est-ce vraiment du passé, tout ça ? La disparition de Pierre Henry en 2017 est peut-être un énorme mensonge, la présence de son orchestre de hauts-parleurs dans la grande salle de la Gaîté Lyrique en atteste. À l’heure où son épouse Isabelle Warnier rend les clés de sa maison-studio du XXème arrondissement de Paris et où ses compositions vont résonner sous la houlette de Thierry Balasse, on a demandé à deux artistes passionnants, Maud Geffray (dont le groupe Scratch Massive revient avec un album et un concert à la Gaîté Lyrique) et Rubin Steiner, qui officie également dans le groupe Drame, de répondre à une question cruciale : encore vivant, Pierre Henry ?
Un souvenir de “première fois” avec Pierre Henry ?
Rubin Steiner : En vrai, non. J'imagine que ça devait être “Messe pour le Temps Présent”. J'ai l'impression d'avoir toujours eu ce disque. Je l'ai même réécouté il y a peu de temps, et j'ai redécouvert avec plaisir des titres que je n'aimais pas trop avant, ceux qui ne sont pas des tubes, on va dire.
Maud Geffray : Mon enfance... Mes parents avaient le vinyle avec la couv’ en noir et blanc de "Messe pour le Temps présent”, on écoutait souvent ce morceau chez moi.
Comment définir le "personnage Pierre Henry" ? Il était vraiment différent de ses pairs ?
Maud Geffray : Si je devais le définir très rapidement, je dirais que c'est le côté "bidouilleur" de sons que je retiendrais, le côté chercheur, expérimentateur. Et surtout, d’un type qui plonge dans la nouvelle technologie comme si sa composition avait besoin de faire bouger la lutherie elle-même. Avec pour résultat cette fameuse "musique concrète". Pour tout cela je le trouve différent de Pierre Boulez qui pour moi est plus cérébral, plus formel, plus conceptuel. Et même de son camarade de création du début, Pierre Schaeffer me semble utiliser les moyens "classiques" de la composition musicale, à savoir les notes…
Rubin Steiner : La grosse différence entre Pierre Henry et Boulez (et Schaeffer évidemment), c'est qu'il a joué le jeu des interviews dans les magazines de jeunes dans les années 2000. Beaucoup. Il a joué le jeu de la pop, et on a donc eu souvent l'occasion de le lire, de voir des reportages sur lui, dans sa maison etc. Le truc que Boulez faisait moins, quant à Schaeffer, on n'en parle même pas. Pierre Henry était aussi excentrique que mégalo, aussi génial que fumiste, aussi avant-garde que has been, ce qui en faisait un personnage très attachant, une sorte de diva qui ne donnait pas pas l'impression d'avoir du recul sur son travail, contrairement à Jean-Jacques Perrey par exemple.
Pierre Henry compte-t-il toujours dans la musique en France ? Il y a un peu de lui dans les morceaux de pop, d'électro ou de rock aujourd'hui ?
Rubin Steiner : Ce qui est sûr là-dedans, c'est que Messe pour le Temps Présent est un magnifique et génial pied de nez à la musique concrète (ou acousmatique pour ceux qui préfèrent), et qu'il a réussi à faire en sorte, je ne sais pas comment, que les gens citent ce disque comme LE chef d'oeuvre de la musique concrète (alors que c'est un chef d'oeuvre de pop, on est bien d'accord). Malgré tout, ce coup de génie a permis, peut-être, à décoincer, voire à décomplexer un peu tous ceux qui considèrent (à raison) que le bruit est de la musique et qui trouvent une légitimité naturelle grâce à la filiation par défaut avec Pierre Henry, pour la majorité des gens. Je dirais que l'influence de Pierre Henry est aujourd'hui inversée : quand tu fais du bruit et des trucs chelou, à ton corps défendant, tu seras toujours un enfant de Pierre Henry, même si tu n'as jamais entendu parler de lui. Pierre Henry a dépassé le stade de "musicien influent". Il est depuis longtemps un "symbole influent", une "icône influente", ce genre là.
Maud Geffray : Son importance dans le paysage musical en France aujourd'hui est sans doute liée au fait que son univers s'ancre dans la réalité, sa matière est constituée de sons fabriqués par les machines et de sons qu'il collectait, qu'il emmagasinait pour les triturer, les coller. Et évidemment du fait de ce processus, pas mal de musiciens électro n'en sont pas éloignés. Pas un hasard qu'en 1997, paraissait cet album hommage " Métamorphoses: messe pour le temps présent" remixé par Coldcut ou Fatboy Slim…
Pierre Henry est-il "toujours vivant" ?
Rubin Steiner : Je suis incapable de répondre à cette question. En tout cas on ne le croise pas encore au cimetière de la musique (je parle des disques à 50 centimes dans les brocantes) !
"Pierre Henry est vivant", mercredi 31 octobre 2018 à 19h30.
Scratch Massive sera en concert le jeudi 7 mars 2019 à 19h30.